- Pqoqwindnua iashdjkas iasdasj.
- Ehm, qué?
- Aslakdjndjf, alsdifdasn?
- Hmm hmm.
- Ajajaja, aeropuerto?
- Tocumen…?
- ¡Sí! Bueno.
Ainsi se résume mon premier retour à la langue espagnole, présentée à la dure par un chauffeur de taxi fort sympathique. Deuxième rencontre, mon espagnol cassé se dégêne :
- ¿Cual es la palabra por eso? (Quel est le mot pour ça ? dis-je en pointant les nuages)
- ¿Y en inglés? (Et en anglais?)
- Clouds.
- ¡Ah, como Santa Claus! (Ah, comme dans Père-Noël [en anglais Santa Claus])
Cet échange s’est terminé drôlement, lui pensant que la raison pour laquelle le Père-Noël s’appelle Santa Claus c’est parce que sa barbe ressemble à des nuages et moi riant aux éclats en sortant mes bagages de la voiture.
Bien que cette réflexion m’ait permis de diminuer la tension que j’avais dans les épaules, elle m’a aussi permis de briser ce mur que je me mettais. Le mur du « je-ne-sais-pas-parler-espagnol-bâzwell ». Une des premières choses qui nous traverse généralement l’esprit quand on voyage dans un pays où l’on ne connait pas la langue, c’est la peur d’être incomprise. On se sent toute petite parmi ces serveurs qui déferlent leurs commandes à 100 miles à l’heure, cette réceptionniste qui crie après le chien de ne pas sauter sur les gens ou cette vieille dame qui nous a posé une question il y a plusieurs jours et dont on ignore encore le sens. On peut penser que l’on est ridicule à essayer de prononcer des mots avec trop de « r » pour notre bouche : y’a qu’un « r », pourquoi le rouler aussi longtemps?!
Je blague bien, mais savoir comment j’allais communiquer était l’une de mes préoccupations majeures avant de partir. Je ne sais pas pour vous, mais je suis une personne qui a parfois beaucoup de difficulté à être claire dans ma langue maternelle. Vous pouvez donc vous imaginez que de me savoir à deux jours de partir en stage à l’étranger avec mon petit « cerveza, tacos, sí sí » – version espagnole du fameux « yes, no, toaster », vous me remercierez plus tard – je croyais mourir. Néanmoins, une conversation « forcée » avec un chauffeur de taxi panaméen m’a suffi pour éviter la crise d’angine. Évidemment, je ne prétends pas que tout le monde le prenne positivement après deux conversations, ceci dit j’espère que mes mots allègeront les pensées de certain.e.s face à cette difficulté.
Langue, apprentissage et puis quoi encore?
Les gens, et ici je fais une énorme généralisation, tentent pratiquement toujours d’aider. Ils ralentissent pour parler, encouragent lorsqu’on se décourage et ils sont patients. Côtoyer ces personnes m’a fait prendre conscience d’une chose ; je n’ai pas cette patience. Je me revois avec certaines personnes, les reprenant plutôt sèchement, car elles ne prononcent pas comme il se doit, car elles n’apprennent pas « assez vite ». Je me demande d’où nous vient cette nécessité d’apprendre vite? Cette question est rhétorique. Cette société sud-américaine me fait prendre conscience de la vitesse à laquelle nous vivons. Tout doit être fait maintenant, le rendement en priorité.
Ce qui est rigolo est qu’ici, lorsque je travaille avec les jeunes, je me tue à tenter de leur expliquer qu’il vaut mieux prendre un peu plus de temps et bien faire les choses que de les faire rapidement et de les bâcler. Il semblerait qu’il y ait un renversement quelque part. Ces enfants sont plus travaillants que beaucoup de gens que je connais, et certainement beaucoup plus que je ne l’étais à leur âge! Ce qui fait que lorsque j’essaie de bien leur expliquer les choses en espagnol (toujours aussi cassé que la veille, mais moins qu’il y a quelques semaines), il leur arrive de s’impatienter. Il se trouve que ma peur de communiquer proprement est rendue quasi inexistante, mais que celle de communiquer rapidement est montée en flèche. Si je ne dis pas mes idées assez vite, je les perds! Cependant, je réussis à me débrouiller à coup de mimiques et d’onomatopées plus loufoques les unes que les autres.
En plus d’être utile pour vouloir s’acheter du pain, la langue est un bel outil pour se faire des connaissances/amis. Je vois bien qu’à mesure où ma fluidité augmente, les jeunes sont plus à l’aise de rigoler avec moi (ou de moi, c’est selon). Dans une langue il y a plus que les mots. Il y a les intonations, la vitesse, les abréviations, les expressions et plus encore. Il me fait plaisir de pouvoir reconnaître lorsque les jeunes sont en train de s’amuser ou de se chamailler juste en entendant leur intonation. J’adore ce merveilleux raclement de gorge qui dénote une légère irritation, ou simplement une accentuation de ce qu’ils veulent dire (je dirais que c’est assez typique aux Honduriens). Ce qu’il faut savoir lors de l’apprentissage d’une langue (ou de l’apprentissage de quoi que ce soit en fait), c’est qu’il y aura des moments où l’on ne voudra plus essayer. On sera fatigué d’essayer de traduire, d’essayer de comprendre une blague, d’essayer de s’expliquer, d’essayer de… mais c’est exactement à ces moments qu’il faudra continuer. C’est à ces moments que l’on se renforcit et que l’on se développe. C’est à ces moments qu’on grandit également. Grandir de cœur et d’esprit. On apprend à rigoler « autrement », on apprend à voir différemment les choses, on apprend à apprendre. Si jamais vous êtes une personne en plein apprentissage d’une nouvelle langue (plus particulièrement en immersion), il ne faut pas s’en faire. Vous en viendrez fort probablement à cet épuisement mental, mais dites-vous que les rires et les moments que vous en tirerez en vaudront grandement le coup! ¡Adíos!
Léa Dargis-Deschenes, stagiaire PSIJ au Hogar Diamente, Honduras 2018