Plus on change, plus on est pareil.le.s.

BlogCamilleAprès quelques voyages personnels ou de solidarité internationale en Amérique du Sud, je me donne un nouveau défi : un stage individuel en Afrique, dans la capitale de Madagascar. Avant mon départ, je tentais de déconstruire mes repères latins pour mieux accueillir les nouveautés que Tananarive (Antananarivo) allait m’offrir.

Dès mon premier jour, j’étais stupéfaite. Je me croyais en Bolivie! Les commerces fermés avec de grandes portes en fer, les habitations discrètes qu’on devine splendides derrière de hauts murs couronnés d’éclats de verre, sans oublier les marchandes patientes derrière leur production colorée de fruits au teint et formes irrégulières, mais ô combien plus savoureux que leurs homologues québécois.

BlogCamille2Le même scénario se poursuit à mon arrivée en famille d’accueil. On sent une excitation, mêlée à une gêne chez les personnes (auparavant) inconnues qui ont accepté de partager leur quotidien avec moi pour les 6 prochains mois. C’est assez courageux d’accueillir quelqu’un chez soi avec comme seules informations sa citoyenneté et son lieu de stage… Je m’étonne (et me surprends à le faire encore parfois) devant la montagne de riz qui m’est servie lors de cette première journée, avec les quelques morceaux de zébu qui l’accompagnent. En retour, mon père d’accueil lui aussi s’étonne surement que je ne mange que le tiers de mon assiette… moins que la portion de son fils de 11 ans. « Pourtant, elle a dit qu’elle avait faim… », a-t-il peut-être pensé.

Au fait, comment font les Malgaches pour manger autant de riz? Comment font les Argentines et Argentins pour manger autant de viande? Comment faisaient les Québécoises et Québécois d’il n’y a pas si longtemps pour manger autant de pommes de terre? En consommant simplement les produits locaux, donc accessibles et à bas prix, de leur territoire respectif. Qu’il s’agisse de nourriture, d’hiver rigoureux ou de luminosité, le corps humain est capable de grande adaptation.

BlogCamille3Une autre question que je me pose régulièrement, mais à laquelle je n’ai pas encore trouvé de réponse qui me satisfasse, porte sur les interactions qu’ont les personnes du quartier avec moi. Depuis le premier jour, beaucoup plus de regards se posent sur moi pour de longues durées, des doigts pointent dans ma direction, des chuchotements, qui se veulent discrets, d’enfants étonnés de voir une peau et des cheveux aussi pâles se font tout de même entendre, tout comme les remarques beaucoup plus directes et assumées, venant majoritairement d’adolescents ou jeunes adultes masculins qui me rappellent la couleur de ma peau ou le fait que je sois une femme. Je mettais le compte sur la nouveauté lors des premières semaines : c’est vrai que je sors du lot. C’est peut-être la première fois que ces enfants voient une Caucasienne d’aussi près (et pas dans la télé!). Naïvement, j’ai pensé que ces réactions s’estomperaient au fil du temps… naïvement. Je réfléchis toujours à ce qui pourrait bien motiver une personne à en pointer une autre en disant simplement « Étrangère » lorsque ladite étrangère est dans un rayon de 30 cm, ou pourquoi tenter de séduire cette dernière, avec des manières très peu flatteuses? Ces comportements sont difficiles à saisir, pour une personne privilégiée comme moi, qui fait partie de la majorité visible, vit en métropole multiculturelle, a des ami(e)s de différentes origines, est voisine du pays où a eu lieu la révolution Martin Luther King et a appris, par l’éducation à l’école et à la maison, à juger les gens sur ce qui n’est pas visible : la personnalité, les idées, etc. Peut-être seulement à cause de ces privilèges, je ne saurai jamais comprendre ce qui tourne dans ma tête depuis tant de jours. Peut-être aussi, dois-je à ce sujet mettre en œuvre un apprentissage que j’ai fait ici : le lâcher-prise, accepter de ne pas tout comprendre ou de ne pas toujours avoir de contrôle. Ma réflexion évolue tous les jours. Un autre privilège que j’ai est que cet état est temporaire pour moi : lorsque je reviendrai à la maison, je n’aurai plus ces réactions à mon égard. Contrairement à certaines communautés qui vivent les microagressions au quotidien.

BlogCamille5Une énième ressemblance avec l’Amérique du Sud (et aussi un peu le Québec!) est la dualité entre les langues. C’était la première fois que je voyageais en immersion dans ma langue maternelle, et étonnamment, c’est dans cette même expérience que la communication est la plus difficile! Les tournures de phrases, les non-dits, la vérité enjolivée… il a fallu à moi et ma collègue québécoise beaucoup de temps pour mieux communiquer avec nos partenaires de travail et s’assurer que tout le monde comprenne la même chose. Mais bref, revenons-en à la dualité franco-malgache. Tout comme la dichotomie espagnol-quechua du Pérou, on entend très peu de français en campagne. Par contre, le malgache s’écrit beaucoup plus que le quechua, qui est plus une langue orale. Les deux langues indigènes sont teintées de francicisme et d’espagnisme, comme le français du Québec avec ses nombreux anglicismes. Cela m’amuse toujours lorsque dans la famille, la discussion est en malgache – et pouf! – un mot français s’invite! « Azafady Tahina, mitady ny chargeur izaho. » « Pardon Tahina, je cherche le chargeur. » Ça me fait sourire, mais ça m’aide aussi à mieux suivre les conversations! En fait, beaucoup de nouveaux mots n’existent pas en malgache ou en quechua : plastique, ampoule, internet, chargeur, etc. À l’instar du français québécois où on tente à tout prix de franciser les nouveaux mots (gazouillis pour twit, ego portrait pour selfie, autonomisation pour empowerment), ici on fait simplement parler dans un discours malgacho-français. Ce qui est très différent du Québec par contre, c’est que plusieurs Malgaches veulent parler le français, que leurs enfants le parlent couramment aussi; au détriment du malgache. Je n’ai rencontré personne s’indigner qu’on leur adresse la parole en français si lui ou elle-même ne parle que malgache, ni vouloir qu’une enseigne soit écrite en malgache. La langue malgache n’a pas la même connotation de fierté que le français au Québec qui survit malgré sa solitude sur tout le continent. Le rapport qu’a la population avec ses langues officielles est donc assez intéressant, mais d’un point de vue québécois, je ne peux m’empêcher de trouver triste que la langue coloniale semble écraser la langue maternelle… la même erreur qu’avec les peuples autochtones québécois et canadiens.

J’ai été surprise aussi de constater la simplicité des installations de mon lieu de stage. Les bancs et tables sont assez usés et bancals, on sent que les tableaux noirs ont participé à l’éducation de plusieurs centaines d’enfants, et l’électricité n’est pas branchée dans toutes les classes. On est loin des TBI et des tablettes électroniques! Par contre, et c’est ça le plus beau : les enfants aiment aller à l’école et réussissent. Cela fait maintenant 20 ans que Sarobidy, qui signifie littéralement précieu·x·se·s (il n’y a pas de nombre et de genre pour les adjectifs en malgache), œuvre pour lutter contre le travail de ce que tout pays a de plus précieux : ses enfants. C’est un privilège de contribuer à l’éducation de ces jeunes filles et garçons en les faisant réfléchir à des questions environnementales et en apprenant le français en s’amusant. Je trouve aussi magnifique que les animatrices et animateur qui enseignent bénévolement aux enfants étaient à leur place il y a quelques années.

BlogCamille4Mon séjour tire déjà à sa fin et j’ai l’impression qu’il se terminera comme tant d’autres expériences d’immersions. Une hâte de revenir dans le connu, le confort, mais aussi une nostalgie liée à la perte de mes nouvelles habitudes de vie en terre d’accueil. Évidemment, au jour J, de déchirants adieux avec celles et ceux qui me considèrent maintenant comme leur famille… suivis de longues heures plus tard par de très attendues retrouvailles.

Camille Dubois-Théberge, stagiaire PSIJ 2018, Sarobidy, Madagascar

Photos

  1. La classe ASAMA (Appui Scolaire d’Appoint aux Malgaches Adolescents) et la maternelle vous saluent!
  2. On apprend les parties du corps et les prépositions en chantant : « Je mets le doigt devant, je mets le doigt derrière… »
  3. Un peu (!) de riz pour être en forme pour la journée. En compagnie de mes collègues PSIJ à Antsirabe.
  4. Fabrina (à gauche en bleu) et ses élèves ont été très enthousiastes lors de la collecte de déchets plastiques. Elles et ils ne veulent pas que les animaux en mangent et soient malades!
  5. Les vendredis, on prend ça plus tranquille : dessin animé éducatif sur l’eau et chanson. Même si l’école était finie à ce moment de l’année, le centre restait ouvert, alors nous avions peu d’élèves… mais la classe n’était jamais vide!
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