Par Cédrik Lalande
La coopération internationale est une première expérience pour moi. Merci au NQSF (Nouveau Québec sans frontières) d’avoir augmenté l’âge comme critère de sélection!
Je m’implique dans les formations pré-départ avec l’AMIE (qui me prépare très bien à ce premier mandat de coopération internationale) et nous nous rendons à Madagascar en septembre 2022 dans l’idée de collaborer, de soutenir et de participer à une expérience humaine hors du commun. L’idée de mettre à profit mes connaissances professionnelles d’enseignant en pâtisserie dans le but de contribuer à l’avancement d’un centre de formation professionnelle pour jeunes décrocheurs (Allo CFP Sarobidy Antsirabe!) m’emballe beaucoup.
Prendre une pause de la vie occidentale et me faire une idée sur tout ce qu’on peut lire et entendre à propos de Madagascar, des pays du Sud et de la coopération internationale aussi. Certainement, la découverte du pays, son terroir, admirer ses paysages et rencontrer les Malagasy aussi. Je ne sais pas exactement dans quoi je me lance, mais partons à l’aventure! Le texte suivant est ma réflexion à la suite de mon expérience ici (ou là-bas!?).
« Wow quel projet incroyable! » « Tu es trop bon de faire ça! » ont été certaines remarques populaires de mon entourage. Ça m’est revenu en tête plusieurs fois pendant les 3 mois qu’a duré le stage. Oui, c’est un projet incroyable, mais est-ce que je suis “bon de faire ça”? C’est plus, selon moi, une question d’embarquer dans le projet, de faire de son mieux et de s’adapter, sans être “bon” ou pas. Tout le monde peut le faire. Le mot clé? Adaptation!
La coopération internationale comporte des hauts et des bas. Comme tout! C’est un travail d’une part, mais aussi des rencontres, une expérience humaine et beaucoup de découvertes à travers le tout. Quand on pense aux pays du Sud, on pense souvent en tant qu’Occidentaux à l’exotisme des paysages, mais aussi à la pauvreté et à leur besoin de s’en sortir. Quels sont réellement leurs besoins?
Commençons par l’envers du décor.
Ayant exploré le nord de l’île pendant mon congé de mi-stage, j’ai pu voir les feux de brousse allumés par des agriculteur.trice.s qui croient que c’est la meilleure manière de fertiliser la terre (c’est ce qu’on leur a dit depuis longtemps) ou allumés par des groupes d’opposants au gouvernement actuel. La perte de vue sur des kilomètres de montagnes sans arbres et noircies à cause de ce phénomène. La végétation qui ne repousse pas vraiment à cause du climat plutôt aride. Ça coupe le souffle, tord le cœur.
Je constate aussi certains résultats des changements climatiques comme la saison des pluies qui est retardée d’année en année. Les agriculteurs qui attendent cette pluie abondante pour semer et s’occuper de leur parcelle de terre afin que le tout verdisse et pousse. Les rivières qui sont complètement asséchées par ce manque de précipitations. Et lorsque la pluie arrive? Des inondations majeures et des pannes de courant. Ces pannes sont fréquentes à Antananarivo, la capitale, et ce à n’importe quelle heure de la journée, qu’il y ait saison des pluies ou pas. Ce qui expliquerait ces pannes serait l’incapacité du réseau à répondre à la demande et le fait que les autorités y trouveraient une opportunité de réduire pour l’État les dépenses que doit lui coûter la distribution de l’électricité à la population. J’y repense deux fois maintenant en prenant une longue douche chaude…
Le voyage en voiture vers le Nord est très long, et sportif. La route est parsemée de trous, tantôt pavée, tantôt complètement détruite par les camions transportant les richesses malagasy (cacao, vanille, épices, etc.) qui seront exportées à travers le monde entier. 200 km sur les tronçons en moins bon état, prennent presque 8h à faire en voiture. En camion, on parle de plusieurs jours! C’est aussi le cas pour la route vers Tamatave, principale ville portuaire qui se trouve à l’est de l’île. Et pas question que le gouvernement demande aux compagnies étrangères qui exploitent ces richesses de payer pour réparer la route. Il faut que ces compagnies restent pour continuer d’exporter ces précieux produits du terroir. Ça me fait encore plus apprécier le chocolat fait à partir de fèves de cacao malagasy et les gousses de vanille que j’utilise dans le cadre de mon travail!
La pauvreté est effectivement présente. On s’y attend, mais ce n’est pas facile à accepter tous les jours. Les personnes qui t’abordent pour te demander de l’argent pour de la nourriture ou pour te vendre différentes choses dont tu n’as pas vraiment besoin; les enfants qui te demandent “Monsieur manger” parce qu’ils ont appris à le faire pour survivre; apprendre le prix qu’une famille doit payer pour envoyer ses enfants à l’école et réaliser ce que cela représente dans notre budget d’Occidentaux; ces personnes qui remplissent les trous sur la route avec de la terre et qui espèrent qu’on leur donne de la monnaie lorsqu’on passe en voiture; ces autres personnes que l’on croise dans la rue jour après jour et qui y vivent, quêtent, dorment.
Malgré ces quelques exemples plutôt négatifs qui font partie d’une certaine réalité malagasy, laissez-moi maintenant vous exposer une liste de belles choses que j’ai pu remarquer.
La première chose qui m’a frappée ici est la beauté des gens. Les plus vieux avec toutes leurs rides et leur sagesse. Les plus jeunes avec leur innocence et leur excitation. Parfois les visages africains auxquels on s’attend peut-être plus en tant qu’Occidentaux lorsqu’on pense à Madagascar, mais aussi des visages indiens, asiatiques et de toutes ces nationalités mélangées. Des visages malagasy!
Une deuxième chose qui m’a réellement fait chaud au cœur sont les nombreux sourires des Malagasy qu’on croise et qui nous disent/crient/rient « Bonjour (ou Salamo) vazaha (étranger) » sans aucune malice et avec un réel bonheur de nous voir passer. Comme pour nous dire « Bienvenue (tongasoa) chez nous, regarde comme c’est beau (tsara be) ». De nombreux moments où la barrière de la langue nous oblige à ne pas nous comprendre et ne pas pouvoir trop communiquer, mais qu’un sourire franc et honnête de chaque part touche droit au cœur et nous permet de connecter le moment d’un instant.
Vient ensuite la beauté de la nature que nous avons eu le privilège d’admirer lors de notre voyage au nord. La grandiosité des Tsingy du parc d’Ankarana. La biodiversité de la forêt sèche; ses lémuriens, caméléons, oiseaux, arbres, fleurs, cactus et crocodiles. Le rouge/rose/jaune/orange des couchers de soleil. Les pachypodiums endémiques qui ne poussent qu’au sommet du mont Ibity qu’on a pu admirer en fleurs. L’arbre du voyageur, cette “mauvaise herbe” qui repousse après les feux de brousse, que les habitants récoltent, font sécher et utilisent pour se construire des maisons.
Et que dire de la richesse du terroir malagasy ? Le cacao, la vanille, les épices, les fruits exotiques (banane, mangue, papaye, ananas, jujubes, corossol) pour ne nommer que ceux-là et les mets traditionnels (avez-vous consulté le livre de recettes que nous avons réalisé comme projet de sensibilisation du public québécois? Si non, vous attendez-quoi?!). Le marché Sabotsy où nous allions faire notre marché chaque samedi et ses étalages abondants de légumes et de fruits. Les marchands tout souriants qui sont surpris et fiers par notre maîtrise de quelques mots malagasy que nous avons appris. C’est la moindre des choses selon moi! Bonjour. Quoi de neuf? Rien de neuf. C’est combien? (en pointant l’aliment dont nous ne connaissons généralement pas le mot malagasy) Merci. Au revoir. (Salama. In vaovao? Tsys. Otchin …? Misotra. Veloma.)
Une dernière chose qui m’a vraiment marqué du peuple malagasy est leur débrouillardise. Notre voisin Berto, qui comme la plupart, sait TOUT réparer! “Ne te débarrasse pas de ceci, je peux le réparer!” Aussi l’indulgence envers une multitude de situations. “C’est comme ça, c’est tout. Mettons-nous en mode solution.”
La coopération internationale c’est aussi des rencontres vraiment enrichissantes et des partages de connaissances tellement riches.

Lila François de l’école de pâtisserie Noli Art et leur soif de toujours en apprendre plus et s’améliorer; Dina et Éline de chez Fokrifa qui offrent aussi des cours de pâtisserie, mais aussi la chance de rencontrer les enfants de la rue que ces dernières accueillent afin de les diriger vers l’école publique, et à qui elles apportent de l’aide aux devoirs et des ateliers d’apprentissage de la musique; Robin, propriétaire de la pâtisserie Chez Jeannette qui m’a gentiment accueilli dans sa cuisine quelques jours et a répondu à mes nombreuses questions sur le fonctionnement d’une entreprise alimentaire malagasy; Jessy et Nelly qui reprennent l’entreprise familiale à Antananarivo avec qui nous avons eux de nombreuses discussions plus enrichissantes les unes que les autres; Mme Vero et Louva, leurs employés pâtissiers qui m’ont accepté dans leur équipe et qui sans vraiment le savoir m’ont grandement inspirés.
Que dire de monsieur Ernest, cette encyclopédie vivante avec un grand cœur qui veut toujours aider, avec qui nous avons aussi eu une multitude de conversations sur l’histoire et la culture malagasy qui nous ont réellement permis de mieux comprendre leur réalité; les jeunes du Sarobidy (que je ne pourrai pas tous nommer) qui nous ont ouvert tantôt leur cœur pour grandir ensemble et tantôt leur liberté et leur folie pour chanter du karaoké et danser en oubliant tout le reste; notre voisin Berto et sa curiosité à apprendre toutes les recettes possibles; et finalement mes collègues stagiaires, team Mofo, avec qui nous sommes devenus rapidement une réelle famille: Perle et sa motivation à se mettre en action, sa belle naïveté et ses nombreuses choses à conter; Felicà et son impulsivité et sa curiosité; Tafita et son calme qui cache un gars TELLEMENT drôle et attachant et finalement Patricia et son grand cœur, son écoute et son ouverture.
“C’est beau tout ça (ou moins beau…), mais qu’est-ce que tu retiens de tout ça Cédrik?” me diriez-vous.
Prendre soin du monde, de la planète, c’est bien. Partir à l’étranger quelques mois pour partager et collaborer. Sensibiliser les gens sur des sujets qui nous tiennent à cœur comme l’environnement, le droit des enfants et des femmes, l’entrepreneuriat, la croissance personnelle, l’alimentation. Quels sont réellement leurs besoins? C’est à nous de demander, mais à eux de répondre. La réponse peut être surprenante, pas nécessairement celle à laquelle on s’attend. En tant que coopérant international, ça m’a réellement fait plaisir de partager mes connaissances, mais aussi d’écouter, de considérer, de sensibiliser, de prendre un moment en silence, de me changer les idées, d’avoir de grandes discussions, de semer des idées pour encourager les jeunes à se surpasser et à écouter leur voix intérieure.
Je reviens au Québec avec une envie de prendre soin de ma communauté. Aller à sa rencontre. Lui demander ses besoins. L’écouter. L’encourager. La supporter.
Je reviens aussi au Québec avec une envie de prendre soin de mon entourage. Ces personnes qui m’ont manqué durant mon mandat, mais qui sont tout de même restées à mes côtés, dans mon esprit et dans mon cœur (et sur mon téléphone quand nous avions du réseau). Ces proches qui m’ont donné la force, sans le savoir, d’affronter les jours les plus difficiles, mais qui m’ont aussi accompagné en pensée lors des beaux moments vécus ici.
Je reviens surtout au Québec avec une grande envie de prendre soin de moi. M’écouter. Faire ce qu’il faut pour grandir. Je suis convaincu que pour prendre soin des autres, il faut tout d’abord prendre soin de soi. Qui es-tu? Que veux-tu? Que fais-tu? Répondre à ces questions va vraiment vous aider à être à l’écoute des autres et éventuellement réellement collaborer, écouter et faire grandir les gens autour de vous.
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Cédrik Lalande, volontaire Nouveau Québec sans Frontière, automne 2022.
Le programme du Nouveau Québec Sans Frontières est financé par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie de Québec